La musique de Claude Vivier (1948-1983) est une image réfléchie de sa vie intime. Élève de Stockhausen, il a ignoré les préceptes de l'avant-garde interdisant l'expression de l'individu par la musique. D'une manière implicite ou explicite, l'ignorance de ses origines, la recherche de sa mère, sa vocation religieuse, son homosexualité et même sa mort prématurée lui ont inspiré les thèmes de ses compositions. Les quarante-neuf oeuvres qu'il a composées pendant sa courte carrière sont la production impressionnante d'un être passionné autant par la musique que par la vie.
Né à Montréal de parents inconnus, puis adopté à l'âge de trois ans, Vivier découvre la musique au séminaire où il entre à l'âge de seize ans et d'où on l'expulse deux ans plus tard pour «manque de maturité». Il étudie quatre ans au Conservatoire de musique de Montréal, la composition avec Gilles Tremblay et le piano avec Irving Heller. Des oeuvres composées à cette époque, Prolifération, écrite dans un langage post-sérialiste élaboré, est celle qui a eu le plus de succès.
En 1971, boursier du Conseil des Arts du Canada, Vivier part étudier en Europe, d'abord un an à l'Institut de Sonologie (Utrecht, Pays-Bas) où il suit des cours en composition électroacoustique avec Gottfried Michael Koenig, ensuite à Cologne où il poursuit ses études avec Hans Ulrich Humpert et Karlheinz Stockhausen. Vivier subit l'influence de ce dernier en ce qui concerne la technique compositionnelle (quantification des paramètres, structures permutatives, modulation en anneau), ce qui toutefois lui permet de développer un langage hautement personnel. Ainsi Chants, composé pendant cette période, constitue selon lui «le moment premier de mon existence de compositeur».
De retour au Canada, sa réputation s'affirme. Il enseigne à l'Université d'Ottawa et reçoit plusieurs commandes dont celles du Concours de musique du Canada (sept courtes pièces idiomatiques), de la Société de musique contemporaine du Québec (Liebesgedichte) et de l'Orchestre national des jeunes du Canada (Siddhartha). À l'automne 1976, Vivier entreprend un long voyage en Asie. C'est pendant son séjour à l'île de Bali qu'il voit confirmées ses idées concernant l'implication de l'artiste dans la société. C'est le début d'une nouvelle phase dans l'évolution stylistique de sa musique : celle de l'affirmation, de la certitude. «Je réalise de façon patente que ce voyage n'est finalement qu'un voyage au fond de moi-même», dira-t-il à son retour. C'est l'époque du brillant Shiraz, de Orion, de l'opéra Kopernikus. Mais c'est surtout dans le cycle d'oeuvres pour voix et ensemble instrumental, notamment dans Lonely Child et Prologue pour un Marco Polo, que se cristallise le propre style de Vivier.
Ce style est marqué par la voix, par les paroles chantées dans un langage inventé du compositeur, par des mélodies prégnantes. Harmonisées par des spectres complexes, ces mélodies modales traversent différentes textures, le point de départ et d'arrivée étant le plus souvent l'homorythmie. Leur centre tonal, avec note sensible, est différent d'une phrase à l'autre, ce qui amène au panchromatisme. Le tout s'organise dans le temps selon une grille arithmétique raffinée.
En 1981, l'évolution remarquable de Vivier lui vaut le titre de Compositeur de l'année, offert par le Conseil canadien de la musique. L'année suivante, de nouveau bénéficiaire d'une bourse du Conseil des Arts du Canada, il s'installe à Paris où il compose la superbe synthèse de son style mûr, Trois Airs pour un opéra imaginaire. Sa dernière oeuvre est l'inachevée Glaubst du an die Unsterblichkeit der Seele dont la théma-tique converge de manière stupéfiante avec la mort violente du compositeur. Cette intégration de sa vie intime et professionnelle, du réel et de l'imaginaire, témoigne d'une conscience supérieure et globale, d'un avenir possible pour l'être humain dont Vivier était un messager, comme un aérolithe de passage dans notre monde.
Jaco Mijnheer, 1993
The music of Claude Vivier (1948-1983) is a reflection of his personal life. Although a student of Stockhausen, Vivier ignored the avant-garde dictum against the expression of individuality through music. Both directly and indirectly, the themes of his compositions were inspired by his unknown family origins, his search for his mother, his religious vocation, his homosexuality and even his premature death. The forty-nine works composed during his brief career comprise the impressive legacy of an individual as passionate about life as he was about music.
Born in Montreal of unknown parents, Vivier was adopted at the age of three. He discovered music at the seminary which he entered at sixteen, and from which he was expelled two years later for "immature behaviour". For a period of four years he studied at the Conservatoire de musique de Montréal; composition with Gilles Tremblay and piano with Irving Heller. Of the works from this period, Prolifération, written in an elaborated post-serialist language, has known the most success.
In 1971, as recipient of a Canada Arts Council award, Vivier left to study in Europe. The first year was spent at the Institute of Sonology (Utrecht, The Netherlands) where he took classes in electroacoustic composition with Gottfried Michael Koenig. Following that, in Cologne, he studied with Hans Ulrich Humpert and Karlheinz Stockhausen. With regards to compositional technique (quantification of parameters, permutative structures, ring modulations), Vivier was influenced considerably by the latter, although he nonetheless developed a highly personalized language. As such Chants, composed during this period, represents for him "the first moment of my existence as a composer".
Back in Canada, his reputation as a composer began to take hold. He taught at the University of Ottawa and was granted several commissions, among others by The Canadian Music Awards (seven short, idiomatic pieces), the Société de musique contemporaine du Québec (Liebesgedichte) and the National Youth Orchestra of Canada (Siddhartha). In the fall of 1976, Vivier undertook a long trip through Asia. It was during his stay on the island of Bali that his ideas concerning the role of the artist in society were solidified. This initiated a new period in the stylistic evolution of his music, a period characterized by affirmation and certainty. He said upon his return: "I realize that this journey was, above all, one of self-discovery". This was the period of his brilliant Shiraz, of Orion, of the opera Kopernikus. Most importantly, it was in the cycle of pieces for voice and instrumental ensemble, particularly Lonely Child and Prologue pour un Marco Polo, that the unique style of Vivier crystallized.
This style is characterized by the voice, by words sung in a language invented by the composer, by striking melodies. Harmonized by complex overtone series, these modal melodies pierce different textures, their points of departure and arrival most often homorhythmic. The tonal core, with leading note, differs from one phrase to another, rendering it panchromatic. This all occurs in time according to a complex arithmetical grid.
His outstanding development as a composer earned Vivier the title of "Composer of the Year" in 1981, awarded by the Canadian Music Council. Benefitting once again from a Canada Council grant, he settled in Paris, where he composed Trois Airs pour un opéra imaginaire, a piece that embodies the superb synthesis of his mature style. His last work is the unfinished Glaubst du an die Unsterblichkeit der Seele whose thematic development converges in a dramatic way with the violent death of the composer. The interweaving of his personal and professional life, of the real and the imaginary, reveal an outstanding global awareness and define a possible future for humankind, for whom Vivier was a messenger, an aerolite passing through our world.
Jaco Mijnheer, 1993, translated by Elisabeth Wood
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